L’HÉLIPCE : discours de Carib
de Cécile Rist
(l’ensemble du texte suivant sera dit en bégayant, l’intensité du bégaiement évoluera au gré de l’acteur…)
Avant de vous exposer les nouvelles perspectives qui s’offrent à nous, il m’a été demandé par plusieurs d’entre vous, d’expliquer sans omettre aucun détail comment nous sommes arrivés à cette situation :
Si cette peuplade de viables, ils se font appeler les « Hus », située du côté de l’ancienne Mongolie, a initié un contact avec nous, c’est qu’ils avaient repéré une activité transmittive qu’ils recevaient par le sol émanant manifestement d’une vie intelligente, mais dont ils ne comprenaient pas la teneur. Notre proximité géographique a généré une confusion à l’origine de ce contact puisqu’ils nous en ont d’abord cru les auteurs. Le malentendu évacué, et ne sachant comment communiquer directement avec eux, étant donné que les terreux n’ont pas développé de technologie électromagnétique telle que nous la pratiquons, les « Hus » m’ont proposé de prendre un rôle d’intermédiaire, en échange d’informations techniques dont notre communauté ne pourrait que bénéficier. Et comme vous le savez, j’ai accepté. Sans en informer le conseil. En cela, je conçois pouvoir vous apparaître fautif.
Nous étions si hermétiquement barricadés depuis notre sortie désastreuse d’il y a treize ans, que j’ai préféré ne pas risquer un probable refus. J’ai fait ce choix seul. Je le répète et j’insiste pour que ce soit entendu. L’équipe Icare, n’a été informée ni de mon choix, ni même de la proposition.
Je rappelle pour les quelques-uns qui ne sont pas en âge de s’en souvenir, que non seulement, je faisais partie de la première expédition mais que j’en avais été l’initiateur. Et s’il est malheureusement incontestable que seuls deux d’entre nous ont survécu, je garde depuis l’intime et absolue conviction que la maladie qui a décimé notre équipe, n’était pas contagieuse, qu’elle n’a pas été transmise par le contact avec les terreux mais par la nourriture dont ils se nourrissaient eux-mêmes et qu’ils ont partagée avec nous. C’est mû par cette certitude, que j’ai décidé d’accepter la proposition des Hus. Pour rappel : À notre retour personne dans la tour n’a été contaminé, et nous les deux rescapés étions les seuls à ne pas avoir ingéré ce repas. Mais les décès sont survenus si rapidement et la psychose qui en a résulté a pris une ampleur telle, que cette version pourtant évidente n’a pas pu être étudiée convenablement. Les recherches effectuées cette fois-ci par l’équipe médico-biologique confirment aujourd’hui cette conviction, je laisserai dans quelques instants la parole à l’équipe médicale.
Pour revenir au déroulé des évènements, je suis parvenu à sortir de la tour en mars dernier, avec l’aide technique à distance des Hus. L’étendue et la performance de leur technologie est sidérante. Bref. Je suis donc retourné à l’entrée du terrier que nous avions visité la première fois. Les Terreux m’ont reconnu et malgré l’hostilité radicale de notre communauté à leur encontre, ils m’ont une nouvelle fois accueilli. Je leur ai parlé de l’information qu’avaient perçue les Hus. Ils ont paru assez surpris. Puis ils ont entonné un chant qui a fait vibrer puissamment les parois autour de nous. J’étais d’autant plus stupéfait que j’avais pris pour acquis qu’ils ne pouvaient pas émettre de son. J’ai enregistré comme je pouvais une partie du chant. Les Hus sont devenus très excités. Mais l’enregistrement ne leur suffisait pas. Or pour une meilleure captation, il me fallait accompagner les chanteurs jusqu’au bureau Icare au 62ème étage…
J’ai expliqué aux Hus qu’une telle entreprise était plus que dangereuse. Dans le contexte d’oppression sourde et de peur irrationnelle des Terreux qui s’était développée parmi nous, en introduire dans la tour et leur faire monter 60 étages sans être interceptés, ni aperçus, m’apparaissait une mission impossible. Utiliser les ascenseurs ou les escaliers ne pouvait être une option. Ils m’ont suggéré d’utiliser les canalisations des isolateurs et des eaux en me proposant d’organiser des pannes ponctuelles afin de nous permettre le passage.
La situation est devenue pour moi tout bonnement surréaliste, d’autant plus que les Terreux ont accepté avec une candeur ahurissante, toute la tribu était volontaire. Honestlé, j’avais espéré qu’ils refusent ! Finalement, après ce qui m’a semblé malgré leur silence, une forme de conciliabule, une petite dizaine a été désignée, une famille entière m’a-t-il semblé, trois générations. Ce qu’ils attendaient de cette aventure, je n’en ai à ce jour pas la moindre idée.
Il a fallu procéder par étapes. J’ai décidé de les faire entrer par groupes de deux ou trois pour prendre moins de risques et de les faire monter d’abord jusqu’à mon appartement du 48ème étage, où je pensais pouvoir les héberger quelque temps discrètement, les étages supérieurs étant les étages plus techniques, où les pannes allaient être plus rapidement décelées et résolues, nous devions tenter de monter tous, en une seule fois.
Dans ce petit groupe familial, tous, même les plus âgés étaient doués d’une agilité surprenante mais chaque traversée était fastidieuse, éreintante et me prenait quasiment la journée. Je ne pouvais cumuler les absences du bureau sans attirer l’attention, donc je faisais les traversées lors des jours de repos ce qui les espaçait d’autant. Mais au bout de trois semaines, alors qu’il ne me restait qu’un groupe à convoyer, les choses ont commencé à déraper.
La veille de chaque insertion, je faisais une traversée en éclaireur de la route que nous allions suivre, le trajet changeait à chaque parcours. Sur ce dernier voyage, une des canalisations que nous allions traverser avec le dernier groupe, constitué des deux terreux que vous avez vus et que nous avons surnommés depuis Ghanima et Chiffon, était déjà occupée par ce fameux trafic de feuilles bleues dont nous avons beaucoup parlé en juillet. Je ne suis parvenu à faire déménager le vaillant jeune trafiquant qu’au prix de cris et de jurons loin d’assurer la discrétion escomptée. Par ailleurs la brèche hors du bâtiment a fini par être repérée par notre très efficace équipe sécuritaire. Heureusement pour moi, ils ne savaient pas encore que j’en étais l’auteur, mais nous avons été pris en chasse sur cette dernière entrée. Nous avons semé nos poursuivants grâce à un parcours sinueux dans les conduits, mais j’ai craint, à raison, d’avoir été reconnu.
Comment prévenir mes hôtes au 48ème de quitter mon appartement, avant qu’il ne soit visité par la sécurité ? Nous ne pouvions pas avancer plus vite que nous ne le faisions déjà. Pourtant ils l’ont su. Comment, je ne le sais pas. Ils ont trouvé seuls le chemin de la forêt suspendue où ils ont finalement connu le sort que nous leur connaissons.
Au 46ème étage, notre actuel tout nouveau commissaire, alors encore alors simple inspecteur, Caramel, a retrouvé notre trace. Nous nous sommes donc séparés. Je suis resté avec l’enfant tandis que la mère a tenté sa chance de son côté. Par les conduites d’eau, elle a miraculeusement atterri dans la pouponnière où son rapport intuitif avec les minis lui a assuré le soutien immédiat et inconditionnel de Yaba. De notre côté, j’ai cherché de l’aide chez ma voisine du dessous, Sila, accessoirement la mère de mon jeune ennemi dealer, mais dont je savais que l’isolateur était en panne et dans lequel j’espérais pouvoir cacher l’enfant. Seulement Caramel nous y a suivis de très près, et nous avons été paradoxalement sauvés par la participation providentielle de la jeune Sheyrazed, la fille de Dess Ouchique, que Caramel n’a heureusement pas soupçonnée chouille de dissimulation alors que Chiffon était caché presque sous ses yeux dans la panière à chiffons, d’où son surnom actuel.
J’en profite pour préciser que pas une seconde, Sila, ni Yaba, qui par un heureux hasard étaient amies proches bien avant ces évènements, n’ont eu de crainte pour leur santé de par la proximité des terreux. Sila avait fait partie des soignants qui ont accompagné l’agonie des équipiers de la première expédition malheureuse, parmi lesquels figuraient son époux. Les seules craintes, bien réelles, de mes nouvelles alliées concernaient le sort qui leur serait réservé si les terreux étaient découverts. Yaba a recueilli la mère et l’enfant dans la pouponnière tandis que je tentais avec les Hus de trouver comment faire monter nos hôtes au bureau des transmissions ou comment simplement les évacuer. Mais l’entrée de la tour était désormais très surveillée, et mes moindres faits et gestes scrutés à la loupe, Ouchique allant jusqu’à m’offrir aux yeux de tous un mouchard en guise de médaille du travail, mouchard qu’heureusement, les Hus m’ont appris à désactiver de façon imperceptible quand j’en avais besoin. Cependant, communiquer avec Yaba ou Sila était désormais très périlleux et nous avions convenu de l’éviter radicalement. Ce temps d’incertitude a duré deux longs mois et demi pendant lesquels Yaba a découvert les extraordinaires compétences des terreux ; et tandis qu’il me semblait être assis sur des chardons ardents, les Hus s’appropriaient le système de sécurité immobilier de façon à rendre possible leur blocus du 18 juin, au cours duquel le chant de l’enfant terreux a fait résonner toute la tour et a pu être capté avec une qualité exceptionnelle. Lors de ces évènements, évidemment incompréhensibles pour vous autres communautaires, le commissaire Dess Ouchique a cru à un putch ou un acte de guerre, et il est devenu enragé. Dans les jours qui ont suivi, il s’est mis à chercher sans relâche des preuves contre moi, la situation s’est enlisée et je n’en voyais pas d’issue. Les Hus ne m’en ont pas proposé, tout à leur exploration du chant terreux, ils me répondaient à peine.
Le 14 juillet alors qu’Ouchique s’apprêtait en désespoir de cause à m’arrêter en falsifiant des preuves qu’il n’avait pas, la jeune Sheyrazed, qu’il confinait depuis plus de deux mois pour son usage des feuilles bleues, a tenté un va-tout risqué pour débloquer la situation : elle a dénoncé ses dealers, son jeune camarade Hansolo et la maintenant célèbre plombière Mnicabelle, espérant profiter de sa propre libération pour me convaincre soit de la retenir comme monnaie d’échange le temps de libérer nos hôtes, soit de profiter de la fête des valeurs pour réclamer une Assemblée Générale qui poserait cartes sur table. Elle a mis plusieurs heures avant de me trouver, car prévenu par Sila, je m’occupais justement tant bien que mal de leur chercher une nouvelle cachette inconnue d’Hansolo.
Pendant cet intervalle, Dess Ouchique a définitivement perdu son sang-froid et envoyé violemment promener les règles du droit communautaire en rouant Mnicabelle de coups, ce qui a provoqué sa destitution rapide lorsque Yaba, qui a eu la même idée que notre intrépide jeune fille, a réclamé l’assemblée qui nous réunit encore aujourd’hui.
Voilà ! C’était long. Non ?
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